Le 23 Septembre 2020, Place au Débat ! a reçu le général Pierre-Joseph Givre, chef d’Etat-major de la Force de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), pour échanger sur l’intervention française et internationale au Mali.
Pierre-Joseph Givre
Le général Givre est diplômé de Sciences Po Lyon en 1988. Après avoir réussi le concours de Saint-Cyr, il rejoint les chasseurs alpins où il effectue toute sa carrière. En 2009, en tant que colonel, il prend le commandement du 27ème bataillon de chasseurs alpins (BCA) basé à Annecy. Parmi les opérations extérieures (Opex) réalisées par le général pendant sa carrière, on peut retenir l’ex-Yougoslavie, l’Afghanistan et l’Irak. Avant de partir pour le Mali, le général Givre commandait depuis 2018 la 27ème brigade d’infanterie de montagne (BIM) basée à Grenoble. Il rejoint à l’été 2020 la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Il est affecté à Bamako comme chef d’Etat-major de la Force de la MINUSMA, qui comprend 15 000 personnes : 12 000 militaires, 1700 policiers et 1200 civils. Ces trois catégories correspondent aux trois piliers de la MINUSMA : civil, militaire, policier. A la tête de la MINUSMA, on retrouve aujourd’hui un diplomate tchadien M. Annadif. Le Commandant de la force (Force Commander) est un général des forces armées suédoises, D. Gyllensporre.
L’intervention militaire française et internationale au Sahel débute le 11 janvier 2013
L’intervention militaire française et internationale au Sahel débute le 11 janvier 2013. La France lance l'opération Serval avec 1 700 soldats sur place. L’objectif est d’arrêter la progression de colonnes djihadistes qui contrôlent le Nord du Mali. L'opération est un succès et en trois mois, ces groupes armés sont mis en déroute. En août 2014, Serval est remplacée par l'opération Barkhane. Ce sont désormais 5100 militaires qui sont déployés dans 5 pays, soit un territoire grand comme la moitié de l’Europe. La mission de stabilisation du Mali a été transférée aux partenaires maliens ainsi qu’aux forces de l’ONU (MINUSMA). La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali, établie en avril 2013, est également un acteur majeur dans la résolution du conflit au nord du Mali.
"En sept années, l’armée française a conduit une action déterminante pour contenir le terrorisme au Sahel"
Ces derniers mois, les armées ont multiplié les offensives, et revendiqué la « neutralisation » de plusieurs dizaines de djihadistes. L’armée française est aussi à l’initiative de projets dits « civilo-militaires » notamment dans le secteur de l’éducation et de la santé pour le développement de la région. Malgré cette présence, l'hydre djihadiste déstabilise toujours le nord Mali et s'est étendue au Sahel, en témoigne l'assassinat des humanitaires français au Niger revendiqué très récemment par Daesh. La plupart des experts s'accordent à dire que la présence militaire française dans la région va encore durer des années.
La situation demeure complexe. Après le coup d’Etat de 2012 qui a permis l’offensive djihadiste, le Mali a connu il y a peu un nouveau coup d’Etat. Un groupe de colonels a renversé le 18 août 2020 le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, au pouvoir depuis 2013. Les militaires qui ont pris le pouvoir se sont engagés samedi 12 septembre à organiser la transition du pouvoir à des civils dans un délai de 18 mois.
Alors que l’épicentre du G5 Sahel, le Mali, est enlisé dans une crise politique, la présence des forces armées internationales demeure-t-elle efficace et légitime ?
Il y a plusieurs forces internationales au Mali : Barkhane, le G5 Sahel, EUTM (European Union Training and Monitoring) et EU CAP (EU Capacity Building Mission in Mali). C’est pourquoi on a pu parler “d’embouteillage sécuritaire” au Mali. Pour autant, le pays est vaste et les défis sécuritaires sont si nombreux que toutes ces contributions sont indispensables à la stabilisation. Barkhane, d’abord, est une mission de contreterrorisme avec pour objectif de neutraliser les groupes armés hostiles à l’accord de paix et de réconciliation de 2015 : EIGS (Etat Islamique dans le Grand Sahara) et RVIM (Rassemblement pour la victoire de l’Islam et des musulmans, affilié à Al-Qaeda) en tête. L’EUTM et l’EUCAP fournissent un appui aux forces de sécurité maliennes par l’entrainement et le conseil (elles n’ont pas vocation à accompagner les forces de sécurité maliennes au combat). Enfin, la MINUSMA a un mandat clair qui n’est pas de combattre les terroristes mais de protéger la population. La MINUSMA cherche à favoriser le retour de l’Etat malien pour qu’il puisse assumer ses fonctions régaliennes. La France a choisi de placer un officier général au sein de la MINUSMA afin de faciliter les relations de la Force de l’ONU avec Barkhane. Les deux forces peuvent être amenées à travailler ensemble comme avec les autres partenaires de l’Union européenne.
"Toute la zone n’est pas en feu mais il y a de nombreux « foyers » épidémiques au Mali principalement mais aussi au Niger et au Burkina Faso"
La zone des opérations de Barkhane s’étend du Tchad à la Mauritanie. Le nombre de militaires, rapporté à la superficie et à la population est très faible. Le rendement stratégique de l’opération est donc remarquable. Il y a 5 000 soldats français sur un territoire équivalent à l’Europe de l’Ouest et Centrale. Il y a au Mali 12 000 soldats de l’ONU, plus 4 000 de Barkhane. Barkhane est au Nord et à l’Est du Mali, dans les régions du Liptako, Gourma et en pays Touareg au Nord. La MINUSMA, quant à elle, est au Nord à Kidal (pays Touareg), à l’Est (Gao), l’Ouest (Tombouctou) et au Centre à Sévaré. A Bamako, il y a très peu de forces mais principalement une présence administrative, de commandement, et logistique. La France intervient car elle a pour objectif de stabiliser la région.
Trois phases caractérisent l’engagement des forces : intervention, stabilisation, normalisation
Les forces en présence en sont toujours à « l’intervention » car la menace armée est encore très présente et sa neutralisation prend du temps à l’échelle du Mali et de la sous-région. On est loin du retour à la normale même s’il y a de bons résultats opérationnels, mais l’Etat malien devra transformer l’essai lui-même. En comparaison, en Irak, nous en sommes à la phase de stabilisation. Dans les Balkans, c’est la phase de normalisation.
"Si la contagion terroriste prend au Maghreb ce serait une catastrophe qui toucherait la France et l’Europe et auraient des conséquences tant au plan sécuritaire, qu’humanitaire et migratoire"
La France n’a pas le choix. Elle se devait d’intervenir au Sahel pour contenir le terrorisme. Cette région est au sud du Maghreb. Il faut considérer les pays du Sahel comme de vrais alliés et pas uniquement des compagnons de route.
La France bénéficie d'un soutien international
Il y a une vraie réalité sur Barkhane. Les boots on the ground sont des militaires français, mais il y a des contributions alliées : hélicoptères britanniques et danois, des avions allemands auparavant. Cette aide est nécessaire car il y a une tension en matériel. Il y a aussi une aide américaine, espagnole. Les Estoniens, et peut-être les Suédois et les Tchèques, devraient rejoindre la task force Takuba de forces spéciales européennes. La dynamique est engagée et cela soulage opportunément l’effort français. Il y a cependant de nombreuses difficultés : les Britanniques ont été durement engagés en Afghanistan, aujourd’hui leurs dirigeants et leur opinion publique se mobilisent donc moins facilement pour des engagements dans des conflits. Il y a une « war fatigue » en Grande-Bretagne. Il est donc difficile pour les Britanniques de se redéployer en nombre aux côtés des Français, bien qu’ils soient parmi les plus ouverts de nos alliés et qu’ils disposent d’une culture militaire proche des Français.
"Ce qu’a fait l’Armée française sur Serval en 2013 est un véritable exploit en projetant en quelques jours à 5 000 km de la métropole plusieurs milliers de soldats qui ont repoussé l’offensive djihadiste au Sahel"
Si la France est respectée, c’est notamment grâce à ses capacités militaires conventionnelles expéditionnaires (autonomie stratégique) et à sa force nucléaire (indépendance stratégique). La France est le seul pays occidental disposant d’une telle indépendance et d’une telle autonomie, mis à part les Etats-Unis. Elle a conservé toutes ses capacités humaines, en volume et en compétences, et équipements majeurs. Les trois armées Terre, Air, Mer n’ont pas fait d’impasses capacitaires. Par exemple, l’armée de Terre est la seule en Europe à disposer à la fois de troupes de montagne, aéroportées, amphibies, de chars, d’hélicoptères, etc.
Quel avenir pour Barkhane et la MINUSMA ?
Le Mali est un Etat failli qui a été miné par des années d’incurie et de corruption d’une partie des élites. Le général admire les militaires, les gouverneurs, d’une résilience incroyable, qui font face dans les régions afin d’essayer d’incarner la République malienne et de porter l’intérêt général. L’insécurité au Mali se propage dans les pays voisins du G5 Sahel et au-delà. Le terrorisme djihadiste est un cancer, une gangrène, pour reprendre les propos du général Givre. Parti du Mali, le cancer gagne aujourd’hui progressivement toute la sous-région ; des incidents ont récemment eu lieu en Guinée, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Bénin etc. Si la France partait, ce serait une submersion, met en garde le général. Seule la présence française permet de « maintenir en vie » la région. Malheureusement, malgré les victoires sur le terrain, l’amélioration pour la population est lente. Le retour à une forme de normalité prendra de nombreuses années et nécessitera un effort international soutenu.
Edouard CABOT
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